Raymond Ranjeva: un véritable traitement pour une véritable guérison
Il ne pense pas se présenter à l'élection présidentielle. Mais par contre, il estime que tout citoyen, lui ou un autre, réconnu capable de rassembler les forces vives, doit accepter de prendre ses responsabilités pour une vraie transition consensuelle. Raymond Ranjeva est enfin sorti de son silence, sous la plume d'un journaliste suisse, José Ribeaud, ancien rédacteur en chef de "Liberté" et chroniqueur indépendant auprès de plusieurs titres francophones, pour confirmer ce que d'autres ont déjà dit sur le changement intervenu à Madagascar mais aussi pour apporter une vision historiquement plus large et techniquement plus détaillée des problèmes du pays.
Raymond Ranjeva ( né en 1942), rappelons-le, est Professeur émérite de droit public et de science politique de l’Université d’Antananarivo, ancien Recteur de l’Université et vice Président honoraire de l’Académie Malagasy. Connu sur le plan des relations internationales comme membre de plusieurs délégations de Madagascar, notamment pour le droit de la mer, il a été vice Président ( 2003-2006) et Juge de la Cour internationale de Justice de la Haye (1991-2009). Par ailleurs, il a participé à divers règlements de différends portant sur le droit des affaires ou le droit du sport, dans le cadre de la Cour internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce international et du Tribunal arbitral du Sport. L’année dernière, sur mandat du Bureau international du Travail, il a présidé la Commission internationale d’enquête et de conciliation sur le Zimbwabwe. Engagé sur le plan social, il a été secrétaire général du 1er comité malgache de défense des droits de l’homme(1971) et il est, depuis 2003, membre du Conseil pontifical Justice et Paix.
José Ribeaud a tenu à bien situer le contexte de l'actuelle crise.
Le 26 juin, Madagascar, ancienne colonie française (1896-1960), célèbre les 50 ans de son retour à l’indépendance dans la morosité, constatant l’échec de la Haute Autorité de la Transition et de son Président Andry Rajoelina, qui a accédé au pouvoir à la suite d’un coup d’état contre le Président élu Marc Ravalomanana. Le régime de transition ne se fait pas accepter par la population ni reconnaître par la communauté internationale. Seule la France dit encore croire aux promesses de son protégé.
"Personnalité reconnue pour son intégrité, sa compétence, et son autorité, Raymond Ranjeva est considéré comme capable de rassembler les forces vives, de regagner la confiance de la population, des investisseurs et des chancelleries et de faire appliquer le droit constitutionnel". Dans son interview, il ne se prend pas pour le Messie, mais n’exclut pas de s’engager pour mettre fin à la crise, une fois que M. Rajoelina et toute son équipe et ce gouvernement, auront fait, selon M. Ribeaud, acte de civisme et de patriotisme en abandonnant le pouvoir.
Propos du Professeur Raymond Ranjeva
Parlant de la crise politique actuelle et de la décision unilatérale de M.Rajoelina de faire adopter rapidement une nouvelle constitution et d’organiser les élections, le Professeur Raymond Ranjeva a rappelé les conditions dans lesquelles l’indépendance a été déclarée. Il n’y a pas eu de débat de politique avant l’adoption de la 1èreconstitution. Ce sont les élites politiques de la période coloniale qui ont fixé les bases de la République malgache et négocié les accords de coopération avec la France en 1960. Il n’y a donc pas eu de rupture après la période coloniale puisque, aux termes des accords de coopération, Madagascar était formellement indépendant mais n’exerçait pas la plénitude de sa souveraineté. Les accords franco-malgaches de 1973, dont Raymond Ranjeva a été un des artisans, a mis fin à cette distinction entre la reconnaissance de l’indépendance et l’exercice des compétences souveraines.
Selon la pratique jusqu’ici observée à Madagascar, l’élaboration d’une nouvelle constitution n’a pas donné lieu à un véritable débat national mais à une confiscation du projet par le gouvernement ; elle portait principalement sur les questions institutionnelles et a été utilisée pour justifier les événements survenus dans le cadre d’une diabolisation du régime déchu. Ces conditions expliquent l’absence de solution pérenne sur le plan constitutionnel (12 modifications en 50 ans), le report des échéances pour le traitement des problèmes politiques de fond et l’absence apparente d’évolution de la vie politique nationale. La non-candidature de M. Rajoelina aux présidentielles ne justifie donc pas l’urgence de l’adoption de nouvelles dispositions sur les institutions.
Le Professeur Ranjeva a ensuite attiré l’attention sur les coûts économiques et sociaux de ces crises à répétition. Mais face au comportement des dirigeants et des nouveaux riches, il se demande si le politique n’est pas tenu en otage par les puissances économiques au détriment des libertés publiques, alors que le développement reste une illusion. Pour sortir de la crise actuelle, il estime indispensable de prendre conscience des maux dont souffre la Nation malgache : la peste du clientélisme, le choléra de la rapacité financière, la lèpre de la politique partisane et le cancer de l’impunité pour les dirigeants. Un véritable traitement s’imposera pour qu’advienne une véritable guérison. Pour ce faire, il faut éviter l’accaparement du pouvoir par les forces partisanes et instaurer un gouvernement neutre, inclusif et fort pour pouvoir réaliser les performances qui lui seront assignées selon un programme et un calendrier bien définis. Aussi est-il d’avis que la communauté internationale serait bien avisée d’appuyer le processus de guérison au lieu de presser les Malgaches de se soumettre à de fausses bonnes solutions, telles que les élections précipitées alors que la paix civile et la sérénité politique ne sont pas au rendez-vous.
Interrogé sur ses projets politiques personnels, Raymond Ranjeva écarte, dans les circonstances actuelles, la candidature à la Présidence de la République. Mais s’agissant de l’exercice de la responsabilité pendant la période de transition, il ne veut pas personnaliser la question en faisant référence à lui-même : si le cadre consensuel et inclusif s’y prête, toute personne animée d’une véritable compassion pour son pays et son peuple, de l’envie d’essayer de le guérir, et d’une foi frisant l’inconscience, pourrait se lancer dans cette aventure.
La question ethnique
Enfin, sur la question du blocage ethnique présentée comme un facteur de blocage de la sortie de crise, il s’insurge contre le prétexte obsessionnel de certains esprits réactionnaires. Le blocage ethnique, qui n’a rien à voir avec le débat actuel, est brandi par les esprits convaincus du bienfondé de la diabolisation colonialiste du Royaume de Madagascar, ennemi de la pénétration coloniale. L’absence de guerres ethniques entre les originaires des Hautes Terre et ceux des régions côtières confirme la falsification de l’histoire. Il ne faut pas oublier que des Merina ont dirigé les transitions pour sortir des crises.